Delhi, capitale de l’Inde et carrefour de cultures

En Inde, le documentaire ODDAFIP a été tourné dans la ville de Delhi et dans des petites villes et villages des deux États qui l’entourent : l’Haryana et l’Uttar Pradesh. Située au Nord-Ouest de l’Inde, cette région a abrité de nombreuses capitales du Sous-Continent indien, et ce depuis l’établissement du Sultanat de Delhi au XIIIème siècle.

Encore aujourd’hui, on peut facilement reconnaître les innombrables villes sur lesquelles Delhi fût construite, dans une succession de sièges, de démolitions, refondations et redéfinitions. Cela explique la multitude de noms qu’elle porte, difficiles à démêler pour un étranger.

« Delhi » désigne l’agglomération dans sa totalité, « New Delhi » est le Delhi britannique situé dans la section centre-est de l’agglomération : fondé au XXème siècle, il reste le siège administratif de la capitale. « Old Delhi », lui, est légèrement au nord de New Delhi et englobe les vestiges de l’ancienne capitale de l’Empire Moghol, qui domina l’Inde avant l’arrivée des Anglais.

À l’instar de Washington DC aux États-Unis, Delhi est un territoire à part entière, indépendant des autres États d’Inde. Cependant, son immense tache urbaine se déverse sur ses deux états voisins. Avec ses près de 26 millions d’habitants en 2016, elle est considérée par l’ONU comme la deuxième région urbaine la plus grande au monde.

L’Haryana, qui « englobe » Delhi au Nord, à l’Ouest et au Sud, est un petit état surtout réputé pour son agriculture et son héritage culturel qui remonte aux temps védiques, l’ère primordiale de l’Hindouisme. C’est aussi une région de plus en plus touchée par la désertification, et ses brûlis agricoles sont l’une des principales sources de pollution atmosphérique pour Delhi.

L’Uttar Pradesh, à l’Est de Delhi, est l’État le plus peuplé d’Inde, avec 200 millions d’habitants. Véritable grenier de l’Inde avec une immense activité agricole, cet État est considéré comme le « cœur Hindi de l’Inde », car il est le berceau des grands textes sacrés de l’hindouisme, tels que le Mahabharata. Avec sa population composée à 80% d’hindous, il est cependant tristement célèbre pour ses tensions communautaires, notamment envers la minorité musulmane (1.8%).

Située dans un secteur stratégique de la plaine de l’Indus et du Gange, Delhi et ses alentours ont toujours été une région d’échanges culturels, constamment traversée par les armées de Perse et habitée par les grands philosophes de l’Hindouisme, du Bouddhisme et du Jainisme.

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La richesse culturelle de Delhi

Arriver à Delhi en période de mousson peut être vécu comme un choc : en 2019, la région passait par une forte sécheresse. L’absence de pluie rendait la chaleur insupportable, et il fallait vivre à la merci de l’ombre et de l’air conditionné.

Sortis de l’aéroport international Indira Gandhi, on est d’abord impressionnés par les multitudes qui parcourent les avenues de la ville et par le flot incessant de voitures, qui roulent pourtant de façon fluide sur l’autoroute, sans paraître respecter un code de la route. Sur les panneaux publicitaires, tous types de promesses sont faites aux voyageurs, présentés par l’omniprésente star de Bollywood Amitabh Bachchan, ou par le regard étrangement serein du premier ministre Narendra Modi.

Au-delà de ces visages qui pèsent sur le visiteur, on est vite interpelés par l’incessante succession de temples de toutes les confessions imaginables, allant des pagodes blanches des Hindous aux gurdwaras colossales des Sikhs, en passant par les mosquées centenaires du vieux Delhi, ou encore ce grand temple vide, mais adoré par les habitants de la ville, qu’est le temple du Lotus de la religion Ba’hai.

Une ville cent fois détruite et refondée ne peut qu’avoir une histoire profondément complexe, et sa diversité culturelle témoigne de son passé. Il est impossible de « comprendre » Delhi en deux semaines de tournage. On ne pourra qu’effleurer des fragments des cités qui la composent.

Ainsi, on peut distinguer le New Delhi britannique, monumental et vaguement impersonnel, et le Old Delhi musulman, avec la mosquée de Jama Masjid qui y trône comme un joyau et ses rues débordant de commerces, où les anciens palais Moghols disparaissent sous la poussière, le béton et les câbles électriques. Mais ce ne sont que deux fragments d’une ville immense et difficile à cerner.

Le défi de l’inégalité et des tensions communautaires

En tant qu’étranger, il est facile de se laisser emporter par la fascination de l’exotisme, tant la richesse de Delhi semble infinie.

Mais il ne faut pas oublier les tensions qui la parcourent encore, et qui se sont exacerbées sous le gouvernement nationaliste de Narendra Modi, réélu avec une majorité écrasante en 2019. En effet, tout en épousant le discours d’un « renouveau de l’Inde » et en entreprenant des politiques sociales et d’infrastructures ambitieuses, ce gouvernement répand une idéologie profondément nationaliste.

Sa défense explicite de l’hindutva – ou « hindouité »- se fait au détriment des autres communautés du pays, et principalement de la communauté musulmane. Dans une Nation fondée sur le principe de la sécularité et de l’unité dans la diversité, ce nouveau discours est vécu comme un choc. Et la multiplication des Fake News xénophobes ne font qu’exacerber les tensions communautaires.

Dans une ville comme Delhi, fondée par des empires musulmans et hôte d’immenses vagues migratoires après l’indépendance, ce discours est reçu avec crainte par les minorités. D’autant plus qu’avec l’accélération de l’exode rural et les tensions aux frontières du pays, la proportion de migrants ne cessera d’augmenter.

Il suffit de parcourir quelques espaces de la ville pour constater l’impact de cette migration venue de tous les recoins de l’Inde. La rue de Chandni Chowk, l’un des marchés les plus anciens d’Old Delhi, est bordée de temples de toutes les religions : Islam, Hindouisme, Sikhisme, Jainisme et même Christianisme. Aux abords de la ville, des réfugiés tibétains fondent des temples Bouddhistes, couverts de bannières à l’effigie du Dalaï Lama ; ailleurs, des bidonvilles nouveaux sont fondés par des Hindous du Kashmirs. Dans le marché de Dili Haat, les étudiants de Delhi raffolent des Dim Suns préparés par la diaspora chinoise et népalaise.

l serait malhonnête de dire que cette coexistence a toujours été pacifique : les récits de conflits religieux remontent à des siècles, et des ghettos communautaires se sont formés dans plusieurs recoins de la ville. Cette division se ressent même dans la langue régionale : l’Hindoustani d’origine a été ainsi divisé en un Hindi « sanskritisé » pour les hindous et un Urdu « Persianisé » pour les musulmans et Pakistanais.

L’augmentation des tensions communautaires en Inde est renforcée par des inégalités économiques qui continuent de se creuser. En effet, malgré son statut de pays émergeant et de 5ème économie mondiale, la richesse du pays est très mal répartie, notamment entre ses États.

Est-ce que ces inégalités seraient exacerbées par le système de castes, source de fantasmes pour de nombreux observateurs occidentaux ? Cela reste difficile à déterminer, d’autant plus que parler de castes est un sujet sensible, difficile à toucher frontalement. Il n’empêche que les castes existent encore (majoritairement en milieu rural) et que les mariages arrangés sont une institution centrale qui perpétue la conformation des groupes sociaux.

Delhi concentre une grande partie des tensions et des espoirs qui hantent l’Inde contemporaine. On y vit à la fois la fierté d’un pays qui garde une croissance vertigineuse, mais on supporte également des inégalités aberrantes qui crispent ses communautés. Il est difficile de prévoir le futur de la plus grande démocratie du monde.

Les violences communautaires qui renaissent en ce début de 2020 prouvent que le problème de la coexistence n’est pas encore résolu. L’issue de cette crise sera peut-être trouvée dans ce qui a permis à l’Inde de s’épanouir pendant des siècles de coexistence.

Manuel-Antonio Monteagudo

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